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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 5 juillet 2025

La Papeterie du bonheur de Sally Page

On m’avait proposé au mois de juin de partager un moment avec l'autrice britannique Sally Page pour discuter de son second roman La papeterie du bonheur. J’avais décliné l’offre en raison du volume du livre que je n’avais pas le temps de lire en 24 heures. Mais j’avais promis de m’y plonger durant l’été.

J’ai effectivement trouvé qu’il s’étirait un peu en longueur malgré l’usage de titres à chaque chapitre pour donner envie de s’y plonger. L’usage excessif de la parenthèse encourage par contre l’auteure à multiplier les digressions et il faut un certain temps au lecteur pour y voir une forme d’humour. Elle ne craint pas les répétitions et je n’ai pas compté l’usage de la formule Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place qui fait office de ritournelle. J’estimais qu’il aurait, de mon point de vue, gagné à être densifié quoique nous sommes en été et qu’on ne compte alors pas son temps … (cela étant l’action se passe en hiver).

J’ai un peu changé d’avis en refermant l’ouvrage, façon de parler puisque je l’ai lu en format numérique (ce qui explique aussi pour partie mon opinion à propos de la longueur parce que l’Ipad n’est pas aussi confortable que le format papier, et ne se prête pas à lecture sur une plage).

C’est très sincèrement un roman que je recommande et dont je ne dirais pas qu’il s’agit d’une littérature feel-good mais think-good, ce qui est bien plus.
Pour surmonter une rupture compliquée, Liz, 39 ans, accepte de tenir pour quelque temps la papeterie de son oncle Wilbur, qui vient d’être hospitalisé. Peu à peu, la jeune femme rajeunit la gamme et propose des articles à son image. Elle découvre qu’elle aime échanger avec les clients qui souvent, pendant qu’ils essaient un stylo-plume fantaisie ou choisissent un carnet coloré, se laissent aller à des confidences.

Ses rencontres avec Ruth, une pasteure cachant une blessure à fleur de peau, Malcolm, un septuagénaire déprimé qui n’arrive pas à achever un roman sur les fantômes peuplant le cimetière d’Highgate, et Erik, l’opticien du quartier, vont lui redonner la joie de vivre.
Nous sommes dans un univers familier puisque l’action se déroule à notre époque, dans le nord de Londres, dans le secteur de Highgate et de Hampstead que, ne connaissant absolument pas je ne risque pas de remarquer que l’auteure a pris quelques libertés en inventant des ruelles et des magasins qui n’existent pas, et je la crois bien volontiers quand elle affirme être restée fidèle à l’atmosphère du quartier (p. 422).

Je lui ai trouvé un petit quelque chose d’exotique car, on a beau dire, les anglais sont en décalage par rapport à nous (ou l’inverse, tout étant question de point de vue). La construction de l’histoire dégage quelque chose de désuet, ce que le titre laissait envisager. Comme si les horloges s’étaient arrêtées dans cette minuscule boutique qui sert de refuge à Elizabeth, le temps de guérir d’un chagrin d’amour tenace. Et par la même occasion de rendre service à la famille en assurant l’intérim d’un oncle défaillant et un rôle social dans cette petit boutique de quartier.

J’aime autant vous prévenir. Il est préférable que l’idée de vous balader dans un cimetière ne vous rebute pas. Vous allez visiter plusieurs fois celui de Highgate à propos duquel je n’avais pas la moindre idée. Il abrite pourtant les tombes de personnes illustres comme Karl Marx, la poétesse George Eliot (1819-1880), et on peut y voir le monument funéraire surplombé d’un éléphant de marbre pour le fondateur du premier zoo d’Angleterre (p. 170).

Après cette lecture vous disposerez d’un truc infaillible pour décourager le démarchage téléphonique qui tourne au harcèlement en suivant le stratagème mis au point par Ruth. Mais il faut surtout le lire pour la sincérité qui émane des dialogues. Bien sûr je sais qu’il s’agit d’une fiction mais on a de sérieuses leçons à y puiser.

Ce roman interroge sur une pléiade de sentiments, filiaux, amoureux (et son corollaire, le chagrin d’amour, censé ne pas s’éterniser) … et sur l’amitié qui a une place primordiale dans le déroulement des évènements et la progression de la résolution de quelques énigmes, soigneusement entretenues au fil des pages, même si les rebondissements ne sont pas excessifs.

Il ne fait pas de doute que Sally Page est une excellente observatrice, ce qui nous offre une fine analyse de certains de nos comportements. Lucy se rend compte que lorsque les gens se mettent à écrire avec des stylos-plumes, ils se mettent aussi à lui raconter des histoires (p. 109).

Lorsque Liz interroge son amie à propos de l’alchimie entre deux êtres et du temps qu’elle pourrait durer, Lucy lui sourit. — Eh bien, je crois que c’est un peu comme avec Dieu : il ne s’agit pas d’une décision consciente. Soit tu y crois, soit tu n’y crois pas (p. 281). Cette réponse est la sagesse même.

Et j’adore la citation empruntée à George Eliot : « Il n’est jamais trop tard pour être ce que l’on aurait pu être. » p. 302

Par contre je me suis impatientée de savoir pourquoi les pasteurs et les cimetières allaient de pair … comme le sang, les excréments et le vomi . Et il fallut attendre le chapitre 50 pour connaitre enfin le secret de la fuite de la révérende Ruth.

Je n’ai pas compris pourquoi la traductrice a modifié le texte original. En effet on lit que pour tester un stylo-plume certains écrivent « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume », parce que cette phrase comporte toutes les lettres de l’alphabet (p. 207). C’est exact, … sauf que le roman ayant été écrit en anglais je parierais que ce n’est pas la phrase que les anglo-saxons emploient.

Et quand Malcolm se lance dans une démonstration de mashed potato (p. 303) il me semble que cette annonce aurait mérité une note de bas de page. Je dois être trop jeune pour savoir de quelle danse il s’agit. J’ai appris depuis qu’elle a été popularisée par Johnny Halliday, dans les années 60, et a rivalisé avec le twist. Les bras sont quasiment au repos alors qu’on agite surtout les jambes latéralement.

Je me suis amusée des descriptions détaillées des pulls de Noël portés par les personnages (ce vêtement est beaucoup moins essentiel en France qu’en Angleterre bien qu’il ait pris de l’importance depuis deux-trois ans) et de nous répéter plusieurs fois que Malcom révèle à Ruth sa recette de cocktail de Noël, dont nous, lecteurs, ignoreront le moindre ingrédient. C’est un peu agaçant. Enfin j’ai été choquée que cette famille réveillonne en associant fromage et vin rouge (p. 364). Je pourrais -rien que pour cela- demander à l’éditeur de prévenir l’auteure de modifier son habitude. Tous les vins blancs s’accordent avec les fromages mais c’est rarement possible avec un rouge. Évidemment avec modération quelle que soit la couleur. Par contre je ne m’oppose pas à ce qu’on remercier les dieux (vous remarquerez le pluriel) de temps en temps, en versant du vin rouge sur la terre, ni qu’elle croit qu’un renard puisse venir rendre visite à un homme en souffrance, et je reconnais que dire bonne nuit tous les soirs à son oncle décédé, est une certaine manière de rester connecter avec lui.

Diplômée d’histoire, Sally Page a travaillé à Londres dans la publicité avant de devenir fleuriste. Les histoires que lui racontaient ses clients ont donné naissance à La Collectionneuse de secrets (L’Archipel, 2024), son premier roman vendu à plus de 500 000 exemplaires au Royaume-Uni, traduit dans vingt-sept pays et venant de paraître en poche aux éditions Pocket.

La papeterie du bonheur de Sally Pqge, traduit de l’anglais par Maryline Beury, Archipel, en librairie depuis avril 2025
Lu en version numérique de 432 pages
Ce roman a été publié sous le titre The Book of Beginnings par HarperCollins, Londres, en 2023 

vendredi 4 juillet 2025

Ma cuisine méditerranéenne, Yalah ! de Grégory Cohen

J’avais eu la chance de goûter quelques-unes des spécialités de Grégory Cohen le soir de l’inauguration de OnePlace qui, sur un même lieu, présente toutes sortes de cuisines avec un focus particulier sur la cuisine méditerranéenne qui est le pilier des racines du chef.

Cet endroit s’appelle Yalah et il n’est pas surprenant qu’il soit le sous-titre du livre, ce qui permet aussi de le distinguer de celui de Mohamed Cheikh, vainqueur de l'édition 2021 de Top Chef, qui en a publié un du même intitulé, sur lequel je n’ai pas d’avis car je ne l’ai pas eu entre les mains.

Rien d’étonnant non plus à ce que ce soit ce chemin qu’il nous invite à suivre à ses côtés pour explorer la cuisine méditerranéenne en 66 recettes authentiques, savoureuses et qui plus est équilibrées. De la chakchouka aux keftas en passant par le baba ganoush, les bourekas, la moussaka ou encore le couscous, chaque plat met à l’honneur des ingrédients frais et naturels, avec une place centrale accordée aux légumes, allant jusqu’à prévoir une version végétarienne de la moussaka. Evidemment il sera de notre responsabilité de trouver sur les marchés les meilleures aubergines, des tomates juteuses, des poivrons colorés, de cueillir les herbes aromatiques de nos jardins et de puiser parmi les épices ensoleillées de nos réserves … pour, nous aussi, mettre sur la table une cuisine de partage, goûteuse, saine et nourrissante, et ensoleillée, même en hiver.

On y trouve donc des plats que nous connaissons tous et que nous avons goutés au moins une fois (mais qu’on ne sait pas forcément reproduire) : le houmous, le tzatziki, les falafels, le taboulé, le pain pita, le riz pilaf, la chatchouka, le couscous, le baklava. Mais aussi des recettes moins fréquentes comme le muhammara (p. 37), condiment parfait dans un sandwhich et qui nous transportera en Syrie, l’avgolemono (p. 49), une moussaka végétarienne (p. 91).

Quand le chef prévoit un burger il est composé de viande d’agneau hachée, de légumes de saison et d’une sauce au yaourt épicée (p. 153). La plupart des plats sont familiaux comme le gratin de pâtes qu’on sert en Grèce (p. 124).

Bien entendu vous pouvez aller directement au comptoir de Yalah où je conseillais, dans mon précédent article, de s’installer près d'une niche blanchie à la chaux, les pieds posés sur un des grands tapis qui créé une atmosphère de vacances.
Libre à vous de vous lancer ensuite. Vous aurez toutes les clés. Grâce à ce livre je vais pouvoir me lancer dans la spanakopita (p. 120) dont je m’étais régalée en Crète et que je n’aurais jamais imaginé réaliser. Je ferai découvrir les tacos levantins (p. 147) à ma famille mexicaine dès mon prochain séjour là-bas. Il est évident qu’à la première occasion je me lancerai dans le toum (p. 137) et peut-être oserai-je tenter un harissa maison (p.163) avec les piments que je ramène chaque année de Mexico.

Personne ne m’avait expliqué la technique de la vapeur d’eau finale qui procure son moelleux aux kéfiés (p. 105) et j’ai apprécié la version du plat avec en boulettes de poisson, directement cuites dans la sauce (p. 57).

Si j’ai du zaatar dans mes placards je parierais que la formule de Grégory Cohen (p.165) est plus parfumée, ce que je vais m’empresser de vérifier. Enfin, de tous les desserts, j’ai un penchant pour le mouhalabieh (p. 179) que je n’ai encore jamais fait moi-même. Ce livre m’en donnera l’occasion.

Il est généreux en ce sens qu’il révèle non seulement les recettes mais encore les trucs et astuces qui nous permettront de reproduire les plats les plus emblématiques. Cela aurait suffi à notre bonheur mais Grégory Cohen va plus loin en expliquant ce qu’il ne faut surtout pas faire, en donnant ses petits secrets de chef et en ajoutant même une astuce bonus. Et comme le dressage est essentiel il nous offre son savoir-faire.

Tout est clairement formulé selon une charte graphique d’une simplicité rare en matière de livres de recettes. Je n’ai par contre pas compris pourquoi toutes les recettes n’étaient pas illustrées car il est essentiel d’avoir un aperçu du résultat qui souvent, à lui seul, déclenche l’envie de cuisiner.

La pédagogie est pourtant poussée très loin puisqu’il nous indique comment faire pour obtenir un résultat satisfaisant si nous n’avons pas sous la main tous les ingrédients recommandés. On a donc des alternatives malignes qui nous sauveront la mise. Le ton est celui de la confidence, ponctué d’anecdotes en clin d’oeil aux traditions familiales, aux cuisines de rue, aux marchés bruyants et parfumés d’Athènes et de Tel-Aviv, d’Istanbul à Beyrouth.

Alors, comme il le dit lui-même, Yalah, à nous de jouer ! Suivons-le et laissons libre cours à notre imagination … en suivant le conseil de son ami Vavros : la tradition n’est pas une prison, c’est une inspiration.
Grégory Cohen (en tablier blanc ci-dessus), chef et entrepreneur, créateur de lieux de vie, chroniqueur dans Grand bien vous fasse ! sur France Inter où il partage déjà des recettes simples et conviviales, est à la tête de six restaurants et a fondé le groupe OnePlace. Papa de quatre enfants, il partage sa passion des voyages et de la cuisine à travers ses livres.

Ma cuisine méditerranéenne, Yalah ! de Grégory Cohen, Editions Leduc, Collection Animae, en librairie depuis le 16 mai 2025

jeudi 3 juillet 2025

Boule Vide Son Sac En Public dans un nouvel album

Je ne connaissais pas Boule et je l'ai "rencontré" en écoutant son dernier album, un peu intriguant puisque la pochette au graphisme ultra géométrique prend le contrepied du nom de scène de Cédrik Boulard.

Il a trouvé le juste intitulé pour caractériser l'objet Boule Vide Son Sac En Public.

L'ours polaire (piste 1) commence fort en n'hésitant pas à frôler la vulgarité. Il faut situer ce choix dans le contexte d'un enregistrement en public, essentiellement des amateurs du style particulier de l'artiste, oscillant toujours entre la figue et le raisin.

Avec l'Avion (piste 2), autrement dit Appareil Volant Imitant L’Oiseau Naturelon pense, après la superbe intro musicale menée par la guitare (dans laquelle Boule excelle), écouter une jolie déclaration d'amour mais si on est attentif aux paroles on décryptera vite le second degré à travers l'image de la civière et l'allusion aux anti-douleurs. On entendra aussi la critique d'un monde qui ne se concentre plus sur l'essentiel, à savoir, les sentiments qui peuvent lier deux êtres à jamais. Ce morceau donne le "vrai" ton de l'album, tout en tendresse.

Nouveau revirement de situation avec Le poisson (piste 3) auquel répond, vous l'aurez deviné, Le poison (piste 4) puisqu'il est décidé que Boule soufflera alternativement le chaud et le froid.

Le percolateur (piste 5) est d'une drôlerie crasse. Il faut un sens très aiguisé de l'observation pour l'avoir écrite. L'ironie ne l'effraie pas et le surréalisme pourrait bien être sa philosophie.

J'ai pensé à ce stade qu'il serait judicieux -peut-être- d'aller fouiner du côté de l'origine de la formule "vider son sac" qui aujourd'hui signifie "exprimer le fond de sa pensée", "dire ce qu'on a sur le cœur". Mais, au départ, l'expression, qui vient du milieu juridique, avait un sens beaucoup plus basique. Au XVII° siècle, les avocats rangeaient en effet l'ensemble des documents nécessaires pour plaider dans des besaces et "vider son sac" équivalait à mettre de l'ordre dans les dossiers et à les hiérarchiser. C'est un peu ce que fait Boule dans ce tour de chant au carré après trois années de tournée en solo.

Il retrouve les joies du collectif avec ce quatuor complice et redoutablement efficace : Fabrice Lhomme à la contrebasse, Sonia Rekis à l’accordéon – qui apporte des couleurs de musiques du monde magnifiques – Freddy Holleville aux percussions et lui à la guitare, au banjo et au chant. Ensemble ils revisitent les meilleurs titres de vingt ans d'une carrière menée tambour battant, vingt ans déjà, sans jamais tomber dans la nostalgie, mais en distillant une émotion brute, un humour ravageur et une sincérité désarmante.

Dès les premiers mots Mélanie (piste 10) la tonalité de la voix m'évoque le chanteur wallon Julos Beaucarne, lui aussi un sacré poète, grand conteur, et dont la philosophie de vie reste bouleversante. On peut aussi parfois sentir une atmosphère québécoise. Mais sous les mots jolis le message est terrible puisque sujet est celui des violences faites aux femmes.

La plupart des morceaux sont très dansants. Valse, mazurka ou cha-cha-cha, parfois une bourrée comme on peut encore en danser dans une fête villageoise, ou encore la java pour accompagner Politesses et banalités (piste 12), et même un air de klemzer sur Pensez à voir un psychologue (piste 14).

Les pizzas (piste 13) commence comme une fable écologique avec la probable disparition des mésanges charbonnières. C'est très vite une diatribe contre ceux (et celles) qui bouffent des pizzas en tripotant leur i-phone à la con.

Comme il a raison de pointer les dégâts du train-train et du numérique avec Je ne touche plus (piste 15) qu'il annonce comme une chanson d'amour alors que c'est de désamour qu'il est question.

Et que dire du Loup et le Chien (piste 17), superbe réécriture de la fable de La Fontaine.

Enregistré en public au Trianon Transatlantique de Sotteville-lès-Rouen, le 18 octobre 2024, l’album capture une soirée d’exception : la salle est pleine, l’ambiance brûlante, les rires fréquents, les silences éloquents. Boule, toujours entre deux éclats de rire, alterne chansons marquantes et anecdotes croustillantes, coups de gueule intimes et envolées poétiques. Forcément, il emballe le public. La finesse de ses textes, son humour ravageur et sans concession et sa sincérité évidente en font un artiste particulièrement attachant, sans doute un des plus étonnants de la chanson française.

Une véritable découverte pour moi !

Boule Vide Son Sac En Public
Cedrik Boule : Guitares, banjo
Fabrice Lhomme : Contrebasse
Sonia Rekis : Accordéon 
Freddy Holleville : Percussions
Vache à Lait Productions
Dans les bacs à partir du 24 mai 2025

mercredi 2 juillet 2025

La liste 2 mes envies de Grégoire Delacourt

Je n'avais pas encore lu La liste 2 mes envies quand j'ai rencontré Grégoire Delacourt il y a quelques jours.

Il avait été principalement question au cours de cette soirée animée à la médiathèque d'Antony par Amandine Lochmazeur de son dernier livre, Polaroïds du frère, dont j'ai rendu compte ici.

Depuis, j'ai lu cette Deuxième liste et je suis heureuse de dire que cette lecture est vraiment réjouissante. D'ailleurs je note qu'il emploie deuxième et pas seconde, ce qui pour un puriste de la langue française de son niveau pourrait être signifiant. Cela voudrait-il dire qu’il ne s’interdit pas d’écrire un troisième opus ?

La Liste de mes envies avait connu un succès qu'on peut qualifier de phénoménal avec 1,5 million d'exemplaires vendus pour ce best-seller international traduit en trente-cinq langues, adapté au théâtre, puis au cinéma et qui sera de nouveau sur la scène … cet été en Avignon, à 13 h 30 à l'Ancien Carmel d'Avignon, dans la continuité du Mois Molière versaillais, cette fois dans une interprétation totalement féminine avec Gwénaël Ravaux (relâche les 11 et 18 juillet).

Ce deuxième roman avait véritablement propulsé la carrière de Grégoire Delacourt et il n’était pas question, ni nécessaire, d’écrire une suite. Mais les choses ne s’enclenchent pas forcément dans une logique prévisible … Sont arrivés le Covid et le confinement que l’écrivain estime avoir vécu dans une atmosphère étrange à New-York (où il réside la plupart du temps maintenant). Face à l'ampleur de la pandémie (près de 160 000 cas recensés et plus de 17 000 morts confirmés ou probables), Donald Trump envoya le "USNS" (United States Naval Ship), un navire hôpital de la U.S. Navy de 272 mètres de long pour 70.000 tonnes et d’une capacité de 1000 lits.

A son entrée à Manhattan, le 30 mars 2020, il était survolé par des hélicoptères de chaînes de télé, salué par de grands jets d’eau propulsés depuis les bateaux-pilote de la ville et accueilli dans un silence religieux par le maire de New-York et de nombreux curieux. Grégoire fut lui aussi impressionné par ce colosse marqué d'immenses croix rouges.

Sa mission était d’accueillir les malades non contaminés par le virus mais ayant besoin de soins urgents, donc de soulager les hôpitaux submergés par la crise. Il repartira sans avoir jamais tourné à plein régime et aura traité moins de 200 personnes. Mais on ne le sait pas encore.

L’atmosphère est sinistre. Grégoire avoue avoir besoin (comme beaucoup à l’époque) de légèreté. De plus, il vient d’achever L’enfant réparé et il aimerait préserver sa part joyeuse. Je le comprends pleinement car cet ouvrage m'a bouleversée encore bien davantage que Polaroïds

Il se souvient alors de Jocelyne, la mercière, dont régulièrement les lecteurs lui demandent des nouvelles. Il se dit que ce serait marrant d’aller voir comment elle a évolué. Il décide de repartir mentalement à Arras qui, soit dit en passant est une très jolie ville dont j'adore les grandes places.

Ce fut un exercice difficile de retrouver son phrasé mais palpitant, de nature à provoquer de la joie(car l'aventure est racontée à la première personne mais comme le souligne l’auteur On est qui on veut quand on écrit, donc on peut être une femme)Les phrases en italiques ocre sont celles que que je l’ai entendu dire lors de la rencontre, ou tirées du roman, et dans ce cas le numéro de la page figure entre parenthèses.

Dans La Liste de mes envies, Jocelyne avait gagné dix-huit millions qu'elle refusait d'encaisser. Dans La Liste 2 mes envies, il lui en reste quinze, et un seul désir : les dépenser.

Il est vrai que Grégoire Delacourt réussit, avec cette suite très attendue des lecteurs, son pari des retrouvailles avec cette femme plus surprenante, plus drôle et plus touchante que jamais. De ses années de publicitaire il a conservé l’amour des mots et le formidable talent de les faire surgir inopinément ou de les associer pour créer des métaphores, des oxymores, bref d’enrichir le récit. Pour première preuve le titre du roman qui résonne différemment selon que je l’écris ici ou qu’on le lit sur la couverture. On notera d’ailleurs que le changement d’éditeur (de JC Lattès à Albin Michel) ne se sent pas tant les visuels sont cohérents.

Je me suis dit que Grégoire Delacourt devait se porter mieux, que L’enfant réparé avait été une écriture bénéfique et qu’il pouvait continuer sa route d’écrivain du bon pied.

mardi 1 juillet 2025

J'ai gouté le Vin Gris Coteaux du Vendômois – Tradition du Domaine Brazilier

Le carré gris et le B en relief signant le Domaine Brazilier signalent le type de vin sur une élégante étiquette. Ce Gris Tradition issu du cépage Pineau d’Aunis est typique du Vendomois et la cuvée 2024 ne déroge pas à la règle.

Je l’affirmais déjà il y a quelques semaines dans cette publication : on ne se trompera pas en ayant (en toute modération cependant) le réflexe de penser aux Gris du Vendômois quand on cherche un vin léger, semblable aux rosés.

Je rappelle que le vin gris est une variante du vin rosé, à macération très courte et donc à robe très claire. Celui-ci est d’un rose très pâle et il exprime ces arômes d’épices qui en font toute l’originalité avec un nez fruité, poivré et floral, une attaque fraîche en bouche.

Il a été parfait tout au long d’un menu estival composé d’une salade niçoise revisitée, de médaillons de porc aux petits légumes et d’une assiette de fruits de saison.
Pour la Niçoise, les photos ont valeur d’explication. J’ai assaisonné du riz, des poivrons jaunes et rouges, des radis coupés en bâtonnets, une poignée de haricots verts, des crevettes décortiquées, quelques œufs durs et les inévitables olives noires, sans oublier un hachis de menthe du jardin et de ciboulette.
Le porc a été disposé sur un fond de purée de potimaron et a été accompagné de carottes, petits pois et haricots.
Comme fruits, des tranches d’orange, des fraises et quelques framboises qui répondent très bien aux notes florales de pêche blanche, de pivoine, et de rose.
Vous pourriez le garder jusque 3 ans, mais est-ce indispensable ? Je signale à ceux qui voudraient découvrir ce joli terroir qu’une randonnée est organisée par les vignerons le 31 août prochain (départ à 8 h 45). Le point de rendez-vous est à la Gare du Train Touristique de la Vallée du Loir, 384 bois Quatrevault, 41100, Thoré la Rochette.

Voici le lien pour vous y inscrire ici. La billetterie consiste en une réservation mais l’activité ne donne pas lieu à une facturation.

Domaine Brazilier - Vin Gris Coteaux du vendômois – Tradition 
17 rue des Écoles
41100 Thoré La Rochette
06 07 59 35 46 - vinbrazilier@wanadoo.fr

lundi 30 juin 2025

La rentrée littéraire automnale de l’Ecole des loisirs #2 Les romans et livres illustrés

Je fais suite à l'épisode précédent présentant quelques albums de la rentrée littéraire de l'Ecole des loisirs, principalement axé sur les albums.

J’avais signalé quelques aspects de la vie mouvementée de Susie Morgenstern, maîtresse de cérémonie pétillante, et très impliquée de cette matinée de présentation d’ouvrages qui vont encore une fois réjouir petits et grands, jusqu’aux adultes, parce qu’il n’y a pas d’âge limite pour la littérature jeunesse quand elle est de qualité.

Cette autrice était invitée pour l’ensemble de son œuvre et pour présenter Addictions anonymes (collection Médium), écrit avec Denis Baronnet, à paraître le 10 septembre 2025.

Elle a constaté elle aussi combien les jeunes sont accros aux jeux vidéo, à la nourriture, aux séries … les addictions touchent tout le monde. Son esprit inventif a imaginé l'ouverture d'une salle commune dans l’immeuble où ils vivent où s’installerait un nouveau club de nature à aider tous les habitants. Bien sûr il faut y voir une évocation des A.A. (Les Alcooliques Anonymes, dont la méthode a d’ailleurs également inspiré Grégoire Delacourt dans La liste 2 mes envies dont j’ai prévu de vous parler après-demain).
Lucia Perrucci était invitée pour La prodigieuse machine à capturer les âmes (collection Médium) et fut interviewée par Maya Michalon en présence de Marc Lesage, traducteur et interprète.
Le 13 octobre 1971, le facteur apporte un paquet pour le frère jumeau de René, Louis, qui est mort exactement deux ans plus tôt. En ouvrant ce drôle de cadeau René ne s'attendait pas à découvrir un portrait de Louis, la pièce manquante à la mystérieuse chambre noire conservée dans le garage. Les questions se bousculent pour le garçon et ses petits frères André et Yves. Quels secrets contient-elle ? Qui est cette Cassandra Apollinaire qui a expédié le colis ? Où ont disparu les parents à présent ?

C'est pour cette famille le début d'une quête haletante et surréaliste, à la frontière de ce que l'on voit, ce que l'on sait, et ce que l'on croit.

Les modèles du positif et du négatif sont centraux dans son ouvrage. Qu’il s’agisse de la transformation du corps, de la frontière entre René et son jumeau mort, entre le masculin et le féminin mais toujours de façon très naturelle. Le roman est composé à 90% de dialogues, de façon à ne pas décrire les personnages mais à donner à les entendre.

Je signale que le premier roman de Lucia Perrucci avait très bien marché en Italie où elle a donc une belle notoriété.

Charlotte Moundlic a présenté Porculus de Louison, d’après l’œuvre d’Arnold Lobel, à paraître chez Rue de Sèvres en septembre. Elle nous en a fait une lecture très animée.

Un sujet en entraine un autre et ce fut l’occasion de citer Coeur de cochon à paraître le 20 août prochain chez JC Lattès, un hymne à la vie et à la tolérance, écrit par Susie qui a dû s’intéresser à cet animal proscrit par sa religion mais dont elle s’est résolue à accepter le don quand son cardiologue lui annonça, à l’aube de ses 80 ans, qu’il fallait opérer son coeur, et remplacer sa valve aortique par celle d’un porc. Elle a interrogé les traditions juives, reçu un signe de son défunt mari sous la forme d’un manuscrit perdu, et décida finalement d’adresser au cochon une lettre… pour le remercier.
Enfin Sylvie Gaillard, autrice-illustratrice a été interviewée par Morgane Vasta pour Orso et le secret des étoiles (Margot). C'est un conte orienté sur la nuit qu’elle a conçu en réaction à la peur du noir qu’elle ressentait quand elle était petite et qu’elle était bercée par la voix de Gérard Philipe racontant le Petit Prince. Voilà un livre qui se lit, se joue, et peut se danser. A tel point qu’une version comédie musicale sera créée le 24 septembre sur la scène du Grand Rex avec Nach, la soeur de Matthieu Chédid.

dimanche 29 juin 2025

Il Vento, le nouvel album de Wassim Soubra est un pont entre l’Orient et l’Occident

J’ai été charmée par Il Vento, un voyage musical aux évocations cinématographiques, dans lequel le piano de Wassim Soubra dialogue avec le violoncelle de Julie Sevilla-Fraysse, les flûtes (traversière, basse et octobasse) d'Henri Tournier et l'oud de Khaled Al-Jaramani.

Le nouvel album du pianiste et compositeur libano-français, commence par de délicates notes de flute sur Réfractions (piste 1) auxquelles répond le piano puis plus timidement le violoncelle.

Le dialogue se noue ensuite, rejoint par l'oud. Nous sommes néanmoins clairement dans le registre musical du "classique". L'album a été conçu en quatre binômes, et en adoptant la structure du contrepoint, ce qui explique sans doute sa fluidité. On s'aperçoit à peine que nous sommes passés d'un morceau à un autre. Il aura fallu que le tempo de Fluctuations (piste 2) s’accélère un peu pour qu’on le remarque. Ensuite le ralentissement final à partir de 4 minutes 30 permet cette fois de comprendre qu’il va s’achever.

Voici donc un second tandem avec Azur (piste 3) et Alizé (piste 4). De fait l'oud s’impose en majesté sur Azur et nous fait réaliser qu'on a basculé dans un autre registre. Peut-être aussi parce que cet instrument est moins familier à nos oreilles. Quant à Alizé, c’est un morceau complètement différent. On y perçoit de la joie, une pointe de mélancolie et quelque chose d’entrainant, comme une danse.

Les premières notes du pêcheur solitaire (piste 5) m’ont laissé croire que c’était une reprise de La chanson des vieux amants (1967), si bien interprétée par Jacques Brel lorsqu’il promet :

Mais mon amour
Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour
De l'aube claire jusqu'à la fin du jour
Je t'aime encore tu sais.


J’ai aussi reconnu sur Anima (piste 7) à 2 ' 06 (et 4' 42) quelques accents de l'hymne anglais.

On adore Il Vento (piste 8) qui donne son nom à l'album et qui semble être la synthèse de tout ce qui précède en nous invitant lui aussi à danser.

L’ensemble nous fait penser tour à tour aux couleurs orientales d'un Anouar Brahem, aux ambiances éthérées d'un Tigran Hamasyan ou encore à la poésie d'un Claude Debussypour peu qu'on accepte de fermer les yeux pour se laisser emporter par la magie de ces compositions uniques.

Wassim Soubra est né à Beyrouth. Initié au piano dès l’âge de 4 ans, il quitte le Liban en 1974 en raison de la guerre civile et s’installe en France, où il poursuit des études de droit. Diplômé en 1978, il retourne à Beyrouth, où sa passion pour la musique et le piano prend un tournant décisif. En 1980, il est admis au Conservatoire de musique de Boston, marquant le début d’un parcours musical prometteur.

Deux ans plus tard, il s'installe à Paris pour approfondir ses études de piano à l’École Normale de Musique, où il obtient en 1986 une licence en pédagogie pianistique. Parallèlement, il se forme à la danse et explore l’art du mouvement pendant dix ans, une expérience qui enrichit sa pratique musicale. C’est dans ce cadre qu’il découvre l’improvisation, un terrain fertile pour son évolution en tant que compositeur..

Wassim Soubra poursuit ensuite sa formation en composition musicale à la Schola Cantorum de Paris sous la direction de Pierre Doury et Michel Merlet. Il y étudie le contrepoint, l’harmonie et l’orchestration, perfectionnant ainsi sa maîtrise des codes de la musique classique occidentale, tout en y intégrant les sonorités et traditions orientales.

Il écrit pour le piano solo, des trios, des quatuors et des quintettes, mais aussi pour des œuvres plus vastes comme des opéras et des oratorios. Il utilise la grammaire musicale classique pour tisser des récits ancrés dans la mythologie, traduire les échos de son enfance et créer des paysages sonores culturels alliant traditions et modernité dans une harmonie captivante. Ses compositions, marquées par un dialogue subtil entre Orient et Occident, se distinguent par leur mélodies pures qui plongent la musique classique aux confins de la musique du monde avec une large richesse narrative.

Artiste de scène accompli, il présente ses œuvres en solo ou en collaboration avec des ensembles prestigieux, se produisant dans des lieux et festivals renommés à travers le monde : le Palais de l’UNESCO à Paris, le Cadogan Hall à Londres, le Festival de Baalbek au Liban, le Festival de musique arabe de Montréal, ou encore le Festival de l’Union européenne à Paris.

Wassim Soubra s'est fait connaître du grand public au début des années 2000 avec son projet Bach to Beirut qui rendait hommage à la musique de J.S. Bach sur des consonances orientales (piano, oud, percussions). S'ensuivit un album de piano solo produit par l'Institut du Monde Arabe (Sonates Orientales) qui lui ouvrit les portes des grandes salles de concert.

Il Vento de Wassim Soubra
Sortie le 13 juin 2025 en digital

Le musicien va jouer plusieurs morceaux de l’album dans un lieu intimiste, ce samedi à 15h au Studio de Meudon au 37 rue d’Arthelon à Meudon.
Concert le 3 décembre 2025 en l’église Saint Julien le Pauvre de Paris
Les 5 et 6 décembre dans le grand auditorium de Clamart

samedi 28 juin 2025

Les carnets de cuisine de Monet

J'ai voulu faire une digression à propos des Carnets de cuisine de Monet qui vienne en complément de la visite de Giverny (article détaillé ici).

Je sais bien, mais vous l'ignorez peut-être, combien le potager était essentiel pour cet homme amateur de bonne chair. Hélas les terrains ont été vendus et il n'en subsiste que le souvenir.

Vous me direz que les deux jardins, le Clos normand comme le Jardin d’eau, sont de toute beauté et méritent très largement le voyage. La maison aussi. Mais j’ai malgré tout souhaité faire un focus sur un aspect qui ne soit pas que décoratif en perçant les secrets gourmands de cette famille à partir du carnet de recettes de Claude Monet.

Sa maison était un endroit où il faisait bon vivre. Si le paysage a son importance pour charmer nos yeux, une basse-cour et un potager étaient d’autant plus essentiels à l’époque qu’on ne décrochait pas son téléphone pour se faire livrer.

Monet avait des préférences très affirmées. C’est pourquoi il accordait un grand soin au potager sur lequel régnait Florimond car il tenait à ce que sa cuisinière Marguerite aient toujours sous la main les fines herbes dont il usait abondamment. C’était lui qui choisissait les graines et les plants, les pots, les cloches à melon … tout le matériel.

Chaque année voyait pousser brocoli, estragon, plusieurs variétés de tomates de différentes couleurs, artichaut, aubergine, poivron et piment doux, fèves et févettes, crosnes, laitue blonde de Versailles, choux-fleur nains et le moindre légume devait toujours être cueilli au bon moment.

Le peintre ne mettait jamais les pieds dans sa cuisine qui était le domaine de Marguerite et n'a donné son nom à aucun plat mais il adorait manger et recevait fréquemment les membres de sa famille … tout comme Clemenceau, Renoir, Pissaro etc … Le dernier film de Martin Provost, Bonnard, Pierre et Marthe nous le montre bon vivant, capable d’acheminer par barque un repas complet.
Il est très probable qu’il accordait de l’importance à la présentation. En effet il avait discuté des teintes des peintures extérieures et intérieures avec le peintre en bâtiment du village. Il opta pour des volets verts néti sur des murs ocre rose, des couleurs claires à l’intérieur, sauf pour la salle à manger jaune de chrome, avec un décor de meubles peints du même jaune que les murs.
Monet se lève et se couche tôt pour profiter au mieux de la lumière du jour. Le déjeuner a lieu à 11 h 30 pétantes et c'est à ce repas là qu'il reçoit, jamais au dîner qui est servi à 19 heures. Une exception est consentie le jour de Noël où le déjeuner a lieu à midi. On y sert la rituelle glace à la banane, évidemment réalisée dans la sorbetière de la maison, où la glace est moulée en forme de pain de sucre.
Le dimanche on utilisait le service bleu de la manufacture de Creil à motifs japonais de cerisiers et éventails bleus foncé stylisé. Le service de porcelaine blanche à large marli jaune et filet bleu est réservé aux fêtes et invités de marque.
La cuisine est restée bleu cobalt avec un carrelage de Delft, une suspension en porcelaine blanche et la fenêtre est voilée de Vichy du même ton.
L’équipement n’est pas montré aux visiteurs, hormis une turbotière de cuivre en forme de losange que l’on devine posée sur la droite du meuble ci-dessous. Elle a dû beaucoup servir. Comme la véritable sorbetière et d'un moulin à noix de muscade.
Chaque jour Marguerite prépare une entrée chaude, un plat de viande ou de poisson, un légume, une salade et chaque jour un dessert différent, sans oublier les gâteaux pour le thé. Notez que le jardin est en contrebas de la maison et s'admire depuis la terrasse. Dès que la météo le rend possible le thé (de chez Kardomah, donc en provenance directe d'Angleterre) est servi au jardin avec des scones, madeleines et/ou génoise.
Le soir le potage est incontournable, un plat d'oeufs, un plat de résistance, une salade et fromage, parfois un dessert ou un fruit au sirop. Et tout cela toujours pour au moins 2 adultes et huit enfants !

Monet aime les asperges à peine cuites, découpe lui-même les viandes, raffole des champignons, use abondamment de poivre. Il a plusieurs manies comme la cuisson vapeur pour les endives, haricots verts et épinards. Il sert souvent un turbot à ses invités qui auront en dessert la surprise du fameux gâteau Vert-vert à la crème de pistache … et aux épinards.
Tout près, les basses-cours où on élève dindons, canards natais ou mandarins, trois ou quatre races de poules, des Houdan, des Gâtinaises blanches, des Bresse noires et des Cayennes. Il faut dire que la consommation d’œufs est colossale chez les Monet. On remarque d’ailleurs dans l’office des placards spécifiques pour y stocker plusieurs douzaines.
Il n’y a pas de clapiers, Monet ne mange que des garennes. Par contre moult arbres fruitiers parce qu’on en servait régulièrement. Les grappes de raisin sont accrochées à une corde tendue pour les conserver à la chaleur et à l'abri de l'humidité.
Les pêches Bourdaloue sont traditionnellement le dessert du dimanche en été (p. 160). Mais il y a aussi de très simples desserts comme les croutes aux pêches (p. 168) ou les oreillons cuits au four sur du pain rassis. Claude Monet a régulièrement peint des scènes de déjeuner et collectionnant des natures mortes montrant des fruits, comme cette Nature morte avec des poires de grenade de Paul Cézanne (1890)
Parmi les plats qui seront posés sur la table on trouvera la bouillabaisse de morue de Cézanne, la soupe à l'ail (et persil p. 113), le cassoulet de Lucien Guitry, la palette de porc Sacha Guitry et de très étonnants oeufs Orsini dont le jaune est cuit dans des nids formés dans la masse des blancs montés en meringue.
Si vous voulez vous mettre dans l’ambiance d’un repas comme Monet les aimait vous pouvez au printemps prochain faire un potage à la dauphine : 500 grammes de navets nouveaux grattés et lavés mis dans une grosse noix de beure à feu doux. On les passe à l'étamine quand ils s'écrasent sous le doigt. On remet au feu avec la même quantité de beurre ou deux tasses de crème. Bon appétit !
La maison et les jardins de Claude Monet – Giverny sont ouverts tous les jours :
Du 1er avril au 1er novembre 2025
De 9h30 à 18h, dernière admission à 17h30
Durée de visite recommandée : 1h30 à 2h (visite libre non guidée)
84 Rue Claude Monet, 27620 Giverny -  02 32 51 28 21

vendredi 27 juin 2025

Les Berlinoises de Inga Vesper

D’Inga Vesper j’avais lu Un destin sauvage, si sauvage et je retrouve avec Les Berlinoises, un roman qui est encore une fois policier et historique où les personnages féminins occupent le devant de la scène. Mais nous avons changé de décor, d’époque et de thème.

L’autrice s’est inspirée de la vie d’une ancêtre (je me suis demandé si ce n’était pas Rike lorsque celle-ci livrera sa confession, mais peu importe au final). L’idée lui en est venue en se souvenant du moment où elle feuilleta l’album-photo de sa grand-mère. Elle la découvre en tenue folklorique avec ses amies dans une clairière faisant toutes le salut nazi. Inga n’avait que quatorze ans mais comprenait l’enjeu de la situation. Sa grand-mère ne lui répondit pas directement quand elle lui demanda si elle avait été nazie. Elle fit claquer l’album en commentant, sous forme d’aveu, nous nous sommes bien amusées aussi, ce n’était pas si terrible

La romancière a composé une histoire en comblant des pans entiers en faisant preuve d’une imagination qui sonne juste. Elle situe le roman à Berlin en 1946 et la ville, qui est quasiment un personnage à elle seule, est loin d’avoir retrouvé le calme et la sérénité d’avant guerre. La défaite est douloureuse, surtout pour les femmes chargées de déblayer les décombres, pierre après pierre, dans un hiver glacial. Malgré le réchauffement fugace avec un lait de poule préparé avec de l’alcool dénaturé, des œufs reconstitués et du mauvais sucre. Tout homme est à craindre, en premier lieu les Ruses qui, entrés les premiers dans la capitale, se sont servis en vainqueurs sans conscience. Ils ont volés ce qui restait à prendre et n’ont pas hésité à violer les femmes qui les craignent plus que quiconque.

Je n’ai pas été surprise par cet aspect qui était présent dans le formidable livre Une femme à Berlin. Journal 20 avril-22 juin 1945 (Traduit de l'allemand par Françoise Wuilmart, Présentation de Hans Magnus Enzensberger, Gallimard, 2006). Pour lire d’autres articles consacrés à Berlin, suivre le lien.

Les principales héroïnes s’allient pour survivre dans la ville en ruines. Vera Klug a eu l’idée de proposer une maison en colocation à six autres femmes. C’est une ancienne actrice qui a eu une brève heure de gloire dans La croisière au soleil, un film qui s’avérera être de pure propagande. Aujourd’hui Vera chante pour les Yankees et reste en quête de rédemption. Hélas, sa mort, suspecte, bouleverse le fragile équilibre de la maisonnée. Chaque femme a quelque chose à se reprocher et toutes sont soupçonnées.

Les Américains se sont fixés l’objectif de dénazifier la population en la soumettant à des interrogatoires qui se concluent la plupart du temps par la classification en catégorie IV et la mention « suiviste » après la crainte que ce soit pire (Il y avait cinq catégories : Principaux Coupables, Charges Importantes, Charges mineures, Suivistes, Non Concernés, apprend-on p. 143). Il est donc relativement facile d’obtenir le certificat dit Persil (en référence au slogan de cette lessive qui promettait de laver plus blanc que blanc) pour tant d’allemand(es) qui ont regardé sans rien dire alors qu’ils auraient pu empêcher le pire (p. 158).

C’était trop monstrueux dira une femme. Trop humain, répondra le soldat américain chargé de l’interroger. Il ajoutera : On ne peut pas punir tout le monde (p. 384). Ce qui est très bien amené par Inga Vesper c’est que le lecteur ne sait pas si c’est une aberration de plus dans un monde qui persiste à marcher sur la tête ou s’il peut s’en réjouir au motif que les protagonistes ont la vie dure et qu’il faut bien tourner la page.

Beaucoup estiment qu’il ne faut rien oublier. Vous marcherez chaque jour sur des tombes. Vous essayerez sans doute d’enterrer le passé, d’empiler les briques pour bâtir le futur sur le bord de la route, mais les morts … Ils seront toujours là, remontant vers la surface. Ils ne vous quitteront jamais. Vos péchés ne seront jamais pardonnés (p. 123).

Plusieurs hommes interviennent dans l’histoire. Côté allemand, on découvre Ernst Mückler, le mari disparu d’une des colocataires et le redoutable Erich William Fischer, ex-Oberbefehlsleiter du Parti national-socialiste, section Berlin-Centre dont Vera semble avoir été très proche. Côté forces alliées il y a le sergent Coston qui, lui aussi sera victime d’un meurtre, et Billy Keely, le soldat américain tout droit arrivé du fin fond du Kentucky, à l’esprit raciste mais possiblement évoluable.

Il va entraîner le lecteur dans son enquête pour démasquer le ou les coupables des deux meurtres et nous verrons bien s’il existe un lien avec des crimes de guerre. Une carte des lieux aurait facilité la compréhension des déplacements.

Il y a (bien entendu) des passages absolument horribles comme l’était -on le sait- la vie dans les camps. Le plus terrible est de lire que, même après l’armistice, des soldats allemands continuent à en rire. Même quand on est au courant de la vérité tant de souffrance demeure inimaginable. On peut continuer à s’interroger alors que des conflits armés secouent encore le monde.

Les Berlinoises de Inga Vesper, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Thomas Leclere, Éditions de La Martinière

jeudi 26 juin 2025

Premier album de Lone Wolf & Rice Fab

Si vous aimez les voix rauques, le blues, et particulièrement celui qu'on appelle Delta blues alors ne manquez surtout pas le nouvel album éponyme de Lone Wolf & Rice Fab.

Peut-être convient-il de préciser avant de poursuivre qu'il s'agit d'un des premiers styles de blues né dans les années 1920 et tenant son nom du Mississippi Delta, une région en forme de delta du nord-ouest de l'État du Mississippi, entre Vicksburg et Memphis d’où les musiciens étaient originaires.

Le duo est pourtant tout ce qu'il y a de plus nantais mais Thierry Gautier (guitare, voix et stompbox) et Fabrice Leblanc (harmonica) font preuve d’un savoir-faire hors pair qui n'a pas échappé à leur nouveau label, Rock’n’Hall de Dixiefrog (Popa Chubby, Neal Black, Fred Chapellier, …).

Les deux compères partagent une même passion pour le blues acoustique. Lone Wolf chante et joue de la guitare tandis que Rice Fab excelle à l’harmonica. Les connaisseurs vous diront qu'ils leur rappellent l'art de plusieurs grandes figures les plus influenes de l'histoire du blues. A commencer par le guitariste et chanteur Robert Leroy Johnson, (1911-1938) qui n'aura pourtant commencé à enregistrer des disques que deux ans seulement avant sa mort. Qui sait si cela alimenta sa légende ? Toujours est-il qu'il fut une grande source d'inspiration pour des artistes comme Jimi Hendrix, Jimmy Page, Bob Dylan, Brian Jones, Keith Richards ou encore Eric Clapton … et aujourd'hui les deux nantais. Il est classé cinquième meilleur guitariste de tous les temps en 2003 par le magazine Rolling Stone.

On pourrait citer aussi Edward James House, Jr., plus connu sous le nom de Son House, (1902 -1988), remarqué parmi les musiciens du Delta pour son chant et son jeu de guitare très expressifs. Et puis Nehemiah Curtis "Skip" James (1902-1969) chanteur, guitariste, mais aussi pianiste et compositeur.

L’album commence avec Going Down my Dusty Road (piste 1) qui donne bien le ton mais très vite Story of a Man (piste 3) nous propulse directement en arrière et outre atlantique. Chacun des morceaux de cet album est ancré dans le style particulier du Delta Blues et deux d'entre eux font directement référence à ce style musical. Qu’il s’agisse des instruments, de la manière de les jouer, de celle de chanter et du rythme des compositions. Les thèmes abordés sont autant d'hommages à l’esprit de Robert Johnson sans qu’à aucun moment on ne soupçonne un défaut d’inspiration.

La rencontre entre les deux artistes s’est faite pendant le Covid, Les enregistrements se sont ensuite étalés sur 3 ou 4 séances. Le résultat est désormais dans les bacs à portée de main des amateurs de blues, et prêt à séduire ceux qui ne connaissent pas encore le type de musique si particulier du Delta.

Lone Wolf & Rice Fab disponible chez Rock’n’hall / Dixiefrog
Sortie juin 2025

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